La Chine offre un bâtiment au Gabon et soulève des questions de souveraineté

En apparence, c’est un geste d’amitié. Un symbole des relations bilatérales florissantes entre Libreville et Pékin. Mais derrière cette main tendue, une autre réalité, plus dérangeante, mérite qu’on s’y attarde. À l’occasion des 50 ans de coopération diplomatique entre la Chine et le Gabon, Pékin a décidé d’offrir un tout nouveau bâtiment au ministère des Affaires étrangères gabonais. Un édifice de sept étages, flambant neuf, avec ascenseurs, escaliers, et une promesse d’achèvement dans les trois prochaines années.
Le ministère des Affaires étrangères n’est pas une simple administration. C’est le cœur névralgique de la diplomatie gabonaise, le sanctuaire des câbles confidentiels, des notes verbales, des échanges sensibles, des arbitrages discrets entre États. Laisser un autre pays fût-il partenaire construire ce bastion revient, au mieux, à faire preuve d’une candeur naïve. Au pire, à prendre un risque calculé… mais par qui ?
Ce n’est pas la première fois que la Chine érige des infrastructures sur le continent africain. Hôpitaux, stades, palais présidentiels, sièges parlementaires. Partout, elle bâtit. Mais partout aussi, les suspicions se multiplient. En 2018, l’Union Africaine découvrait que son siège flambant neuf à Addis-Abeba également un don chinois avait été l’objet d’un espionnage nocturne systématique pendant des années. Les serveurs, connectés à des adresses IP à Shanghai, transféraient discrètement des données entre minuit et 2 heures du matin.
Quelle garantie de confidentialité pour le Gabon ?
Qui contrôlera les câbles réseau installés dans ce nouveau ministère ? Qui fournira les routeurs, les serveurs, les caméras de surveillance ? Qui détiendra les codes sources des systèmes de sécurité ? Autant de questions essentielles auxquelles aucune réponse précise n’a été donnée par les autorités gabonaises. Confier la construction d’un ministère stratégique à une puissance étrangère, c’est lui laisser potentiellement les clés d’un coffre-fort diplomatique. Ce n’est pas de l’ingratitude que de le dire. C’est du bon sens.
La souveraineté ne se délègue pas
Le Gabon, comme tout État souverain, a le droit de choisir ses partenaires. Mais il a aussi le devoir de protéger ses données, ses secrets d’État, ses communications, sa capacité à agir en toute autonomie dans l’arène internationale.
L’architecture ne se limite pas aux murs. Elle intègre désormais des technologies connectées, des systèmes intégrés, des failles invisibles. Le « cadeau » chinois pourrait ainsi comporter des accès dissimulés, des portes logiques prêtes à s’ouvrir à distance. Qui peut l’affirmer avec certitude ? Et surtout : qui osera le vérifier ?Entre gratitude et vigilanceIl ne s’agit pas ici de rejeter en bloc la coopération sino-gabonaise. Elle est ancienne, parfois fructueuse, et souvent structurante. Mais si les partenariats évoluent, les pratiques doivent évoluer aussi. Le Gabon ne peut plus se permettre de faire confiance les yeux fermés. Pas à une époque où l’information vaut de l’or, et où les rivalités géopolitiques se déplacent des champs de bataille aux centres de données.
Ce bâtiment en construction n’est pas qu’un immeuble. C’est un symbole. Il pose une question simple : le Gabon a-t-il encore les moyens de protéger ce qui lui appartient vraiment ?
Dans un contexte de transition politique et de refondation des institutions, le Gabon doit prendre garde à ne pas échanger sa souveraineté contre des briques et du ciment. L’histoire contemporaine est truffée de nations qui, par naïveté ou complaisance, ont ouvert leurs portes à des puissances tierces. Et qui peinent, encore aujourd’hui, à les refermer.