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Gabon : supression des bourses d’études, un coup d’épée dans l’eau ?

En décidant de suspendre, à compter de 2026, l’octroi de bourses pour les étudiants gabonais souhaitant poursuivre leurs études dans des pays comme les États-Unis, le Canada ou la France, le président Brice Clotaire Oligui Nguema entend s’inscrire dans une logique de rationalisation des dépenses publiques. Officiellement, il s’agit de limiter les coûts jugés excessifs des formations dans ces pays et de lutter contre la fuite des cerveaux. Mais derrière cette mesure apparemment pragmatique se cache une réalité plus inquiétante : celle d’un État qui, une fois encore, fait porter le poids de ses restrictions budgétaires sur les plus vulnérables, tout en préservant les privilèges de l’élite.

« Pour 2026, il n’y aura pas de bourses pour les États-Unis, le Canada… parce que là-bas, les études coûtent cher, et ceux qui y vont ne reviennent jamais », a déclaré Oligui Nguema devant la diaspora gabonaise. Le constat est brutal, mais la réponse politique, elle, reste discutable.

Un sacrifice unilatéral du peuple

L’argument économique avancé, une économie estimée entre 20 et 50 milliards de FCFA par an, masque mal le déséquilibre structurel d’un système où l’on préfère rogner sur l’éducation plutôt que de s’attaquer au train de vie dispendieux de l’État. Pourquoi ne pas commencer par réduire le nombre pléthorique de conseillers à la présidence ou le budget de fonctionnement d’institutions parfois redondantes ? Pourquoi, systématiquement, la rigueur budgétaire se traduit-elle par des sacrifices imposés à la jeunesse et non par une réforme courageuse de l’appareil d’État ?

Le gouvernement souhaite que les étudiants se tournent vers des destinations « moins coûteuses » telles que le Sénégal, le Maroc ou le Ghana. Mais a-t-on posé la vraie question : pourquoi tant de jeunes veulent-ils partir au loin pour étudier ? La réponse est simple : parce que l’offre de formation au Gabon est insuffisante, souvent inadaptée aux besoins du marché, et régulièrement plombée par des grèves, des infrastructures vieillissantes, et une gouvernance approximative.

Avant d’empêcher les jeunes de partir, ne serait-il pas plus juste et plus efficace de leur donner une vraie raison de rester ? D’investir massivement dans les universités locales, de créer des pôles d’excellence, d’injecter de la modernité dans les cursus ? Autrement dit, de rendre l’école gabonaise désirable et compétitive.

Le contrat moral trahi

L’État a instauré depuis plusieurs années un « engagement décennal » : les boursiers s’engagent à revenir servir le pays pendant dix ans. Ce contrat repose sur une logique de réciprocité. Mais dans les faits, combien d’anciens boursiers aujourd’hui revenus au pays attendent encore, en vain, une intégration dans la fonction publique ? Combien ont déposé leur dossier et patientent dans le silence administratif ?

La vérité, c’est que même ceux qui rentrent peinent à joindre les deux bouts. Dans un pays de plus de deux millions d’habitants, avec une majorité de jeunes, le taux de chômage reste dramatique. Et pendant que la jeunesse s’enfonce dans l’incertitude, les promesses d’insertion professionnelle faites par le gouvernement s’évanouissent dans les discours.

Limiter les bourses ne fera pas revenir les diplômés. Ce qui les fera revenir ou rester, c’est un pays où l’on peut travailler, progresser, innover, fonder une famille sans craindre pour son avenir. C’est un État qui ne les abandonne pas à la sortie de l’université, mais qui crée les conditions d’un retour valorisant. Ce n’est pas en fermant les portes du monde qu’on retient les talents, c’est en leur ouvrant celles de l’avenir.

La réforme annoncée n’est donc pas une solution. Elle est un symptôme : celui d’un pays qui préfère punir ses espoirs plutôt que de s’attaquer à ses dysfonctionnements. Si le président veut vraiment rationaliser les dépenses, alors qu’il commence par le sommet. La jeunesse gabonaise, elle, a déjà assez donné.

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