Hôpitaux du Gabon : quand se soigner devient un parcours d’épuisement

Dans un pays où la santé est censée être un droit fondamental, les hôpitaux publics gabonais ressemblent parfois davantage à des lieux de désespoir qu’à des espaces de guérison. Entre ruptures de consommables, examens délocalisés et patients contraints de courir d’un centre hospitalier à un autre, le constat est alarmant. Les témoignages se multiplient, les drames se répètent, mais le silence administratif demeure. Pendant ce temps, des vies se perdent non pas à cause de la maladie, mais à cause d’un système qui, au lieu de soigner, épuise et abandonne.
« Ma nièce est malade. Hier, ma grande sœur me le dit et je vais au CHU d’Akanda. Elle avait des examens à faire et on m’a dit que je devais aller dans une clinique. On m’en a proposé plusieurs et on m’a remis des fioles avec son sang pour que j’aille déposer et attendre les résultats », raconte A.M. Faute d’équipements disponibles sur place, il est contraint de transporter lui-même les prélèvements biologiques d’une structure à une autre. « J’ai dû rentrer avec les fioles chez moi, appeler ma mère pour savoir comment les conserver, et ce n’est que le lendemain que j’ai pu les déposer à la Polyclinique Nour. » Cette situation, aussi absurde que dangereuse, illustre un dysfonctionnement profond : le patient, déjà inquiet, devient logisticien de son propre traitement, entre deux hôpitaux publics incapables de se relayer.
M.N, une autre patiente, livre un témoignage similaire, entre désarroi et indignation. « Je ressentais une gêne et je suis allée à l’hôpital pour voir si tout allait bien. Je ne m’attendais pas à ce que j’ai vécu », confie-t-elle. Elle raconte avoir été trimballée de clinique en CHU, puis de CHU en hôpital militaire, simplement pour effectuer un examen de routine. « J’ai passé plus de temps à courir qu’à me soigner. Et je n’ai pas pu travailler. »
Son récit met à nu un système éclaté, désorganisé, où le manque de coordination transforme un simple suivi médical en parcours du combattant. « Nos hôpitaux doivent guérir les corps, pas nous épuiser les âmes », écrit-elle. Ces mots résonnent comme un cri d’alerte, mais aussi comme un avertissement.
Il serait facile d’accuser le personnel médical, souvent en première ligne. Pourtant, comme le rappelle A.M, « parfois ce n’est même pas la faute du personnel soignant, eux-mêmes manquent de certaines choses ». Des seringues aux gants, des réactifs aux médicaments de base, tout manque. Les soignants bricolent, improvisent, s’excusent, mais ne peuvent pas faire de miracles. Le mal est plus profond : il est structurel, systémique. Il naît d’une administration inerte, d’un manque de vision, et d’une absence criante de coordination entre les établissements. Pendant que les hôpitaux publics s’asphyxient, les cliniques privées prospèrent, au prix d’un accès inégal à la santé.
Le gouvernement semble avoir pris conscience de l’urgence. Le 20 octobre dernier, le ministre de la Santé, Pr Adrien Mougougou, a annoncé un budget record de 377,044 milliards de FCFA pour 2026, contre 141,140 milliards en 2025, soit une hausse historique de 235,9 milliards. Sur le papier, cette augmentation marque un tournant. Dans les faits, elle ne sera utile que si l’argent sort des lignes budgétaires pour atteindre les patients. Car à quoi bon débloquer des milliards si les hôpitaux continuent à manquer de gants, de réactifs ou de seringues ? À quoi sert un budget si les urgences restent sans électricité, si les machines tombent en panne faute de maintenance, si les patients continuent à transporter eux-mêmes leurs prélèvements dans des sacs en plastique ?
Le temps n’est plus aux annonces, mais à la réforme. Nos hôpitaux ne doivent pas être des lieux d’attente de la mort, mais des espaces de confiance et d’espoir. Pour cela, il faut repenser la chaîne entière : numériser la communication entre hôpitaux pour éviter les déplacements inutiles, réformer la CNAMGS pour la rendre plus humaine et plus efficace, assurer la traçabilité des consommables pour éviter les pénuries, et surtout redonner leur dignité aux soignants. Une politique de santé ne se mesure pas à la taille de son budget, mais à l’impact de ses soins sur la vie des citoyens.
Les témoignages d’A.M et de M.N ne sont pas des exceptions : ils sont la norme silencieuse d’un système à bout de souffle. Et si les décideurs ne voient pas cette réalité, c’est peut-être parce qu’ils n’attendent jamais dans les files des pharmacies, ne dorment jamais sur les bancs des urgences, ne transportent jamais des fioles de sang à la main. « Si pour la santé vous ne faites pas d’effort, vous les ferez pour quoi ? », interroge M.N dans son post. La question est directe, presque brutale, mais elle résume tout.
La santé n’est pas un luxe, c’est un devoir de l’État. Ce pays a besoin d’hôpitaux qui soignent, pas qui survivent. Il a besoin d’un système qui sauve des vies, pas qui en complique la fin. Les milliards annoncés ne serviront à rien si la volonté politique ne suit pas. À ceux qui décident, rappelez-vous : dans chaque seringue manquante, dans chaque examen reporté, il y a une vie suspendue. Et dans chaque mort évitable, il y a une responsabilité partagée.



