Gabon – État des routes et mobilité intérieure : le grand oubli du développement national

Alors que le gouvernement gabonais multiplie les annonces sur la modernisation des infrastructures à travers le pays, une réalité implacable persiste : l’intérieur du Gabon reste largement enclavé, marginalisé dans les choix stratégiques de développement. Si l’on parle volontiers de « redynamisation du tissu national » et de « désenclavement progressif », les faits sur le terrain racontent une autre histoire – celle d’un pays construit autour d’un centre unique, Libreville, au détriment de ses autres territoires.
La Transgabonaise : un projet phare qui avance… mais pour qui ?
Lancés en grande pompe en 2020, les travaux de la Transgabonaise devaient symboliser une nouvelle ère pour les transports routiers. Longue de près de 780 km, cette route reliant Libreville à Franceville est censée transformer la mobilité intérieure. Or, cinq ans plus tard, seuls quelques tronçons sont effectivement livrés (PK24 – PK105). Le reste des travaux progresse lentement, parfois stoppé par des conflits fonciers, parfois ralenti par des problèmes de financement.
À Ndjolé, les populations s’interrogent : pourquoi tant d’années pour achever une route nationale stratégique ? Plus loin, vers Booué ou Lastoursville, c’est l’attente, encore. Les pluies rendent certaines portions impraticables. La route de l’Estuaire semble absorber l’essentiel de l’attention, tandis que le Haut-Ogooué, l’Ogooué-Ivindo ou la Ngounié attendent leur tour… qui ne vient jamais.
Des villes provinciales coupées du monde moderne
Pendant que Libreville voit fleurir échangeurs (PK5, Nzeng-Ayong), routes urbaines bitumées, et aménagements de promenades en bord de mer, des capitales provinciales manquent toujours de l’essentiel. Prenons quelques exemples concrets :
- Tchibanga (Nyanga) : Capitale provinciale accessible principalement par voie aérienne ou piste. En saison des pluies, le tronçon Mouila – Tchibanga devient cauchemardesque. Pourtant, c’est un axe stratégique pour la mise en valeur agricole du sud du pays.
- Makokou (Ogooué-Ivindo) : L’accès par la route est laborieux. Les populations dépendent encore de la ligne ferroviaire pour sortir ou entrer dans la province. Pas de route moderne pour relier rapidement cette région riche en bois et ressources naturelles.
- Koulamoutou (Ogooué-Lolo) : Malgré sa proximité avec Franceville, elle reste mal connectée. Les marchandises y arrivent avec du retard, et à des coûts exorbitants.
Libreville, vitrine déséquilibrée d’un pays désarticulé
Certes, Libreville elle-même n’est pas épargnée par les problèmes d’infrastructure : inondations chroniques à Nzeng-Ayong, Okala, Sotega, voirie en piteux état dans plusieurs quartiers périphériques, absence de transports publics organisés… Mais la capitale concentre l’essentiel des investissements publics. Les grands travaux lancés en 2023 dans le cadre du « Plan d’urgence pour la relance économique » se sont focalisés encore une fois sur l’axe PK12 – Libreville – Owendo.
Cette concentration crée une fracture nationale. Le Gabon se vit désormais à deux vitesses : Libreville et le reste. Le grand Libreville, malgré ses insuffisances, bénéficie d’un traitement de faveur : couverture médiatique, projets prioritaires, visites officielles. L’arrière-pays, lui, attend une caméra, un ministre, une machine.
Les conséquences : économique, sociale, politique
- Sur le plan économique, les zones agricoles du Woleu-Ntem, de la Ngounié ou de la Nyanga ne peuvent écouler leurs produits. Le transport des denrées devient un luxe, ce qui décourage l’investissement local et favorise les importations.
- Sur le plan social, les jeunes fuient l’intérieur, en quête d’opportunités concentrées sur la côte. Résultat : exode rural massif, pression urbaine à Libreville et Port-Gentil, et désertification humaine du reste du pays.
- Politiquement, cet abandon alimente un sentiment d’exclusion. Certaines provinces, historiquement marginalisées, s’interrogent sur leur rôle dans un État qui ne les relie même pas aux autres.
Un développement déséquilibré = un pays vulnérable
La vraie question est celle-ci : comment bâtir un Gabon fort, stable et prospère si l’intérieur du pays reste inaccessible ? Un pays ne peut prétendre à l’émergence en ne développant que sa façade littorale. Les investissements doivent être rééquilibrés. Le bitume ne doit pas seulement servir à parader à Libreville ; il doit connecter les Gabonais entre eux.
Quelle vision pour demain ?
L’urgence est claire : il faut une politique nationale cohérente de mobilité intérieure. Cela passe par :
- L’entretien systématique et rigoureux du réseau routier existant
- La finalisation des grands axes stratégiques comme la Transgabonaise
- Le développement du transport fluvial et ferroviaire pour désenclaver les zones reculées
- Un vrai partenariat public-privé transparent, avec des résultats mesurables
Sans routes, il n’y a pas de commerce. Sans mobilité, il n’y a pas de cohésion nationale. Et sans vision, il n’y aura jamais de développement. À force d’oublier ses routes, le Gabon finit par tourner en rond sur place, comme une voiture bloquée dans une ornière qu’on refuse de combler.
Conclusion : bâtir un pays, ce n’est pas embellir une vitrine
L’avenir du Gabon ne peut se résumer à Libreville, à Port-Gentil ou à quelques axes modernisés. L’État a une obligation morale et stratégique d’investir équitablement dans les infrastructures de toutes les provinces. Chaque ville, chaque village, chaque département doit être vu comme une pièce essentielle du puzzle national.
Tant que l’intérieur du Gabon sera condamné à l’isolement, le développement ne sera qu’un slogan. Il est temps de cesser de construire des routes pour les cortèges officiels, et de bâtir, enfin, un réseau national au service de tous.