Gabon : le stade d’Angondjé serait-il devenu une arène politique ?

Le samedi 3 mai prochain, le stade d’Angondjé sera à nouveau sous les projecteurs. Mais pas pour un match, une finale ou un tournoi. Ce sont les chefs d’État et délégations étrangères qui y prendront place, à l’occasion de l’investiture du président de la Transition, Brice Clotaire Oligui Nguema. Un événement d’ampleur, certes. Mais qui, une fois encore, met en lumière une question que beaucoup se posent sans vraiment oser la poser : à quoi sert désormais le stade d’Angondjé ?
Construit à grands frais pour la CAN 2012, rénové pour la CAN 2017, le stade d’Angondjé, ou Stade de l’Amitié sino-gabonaise, était censé devenir le temple du sport gabonais. Une enceinte capable d’accueillir régulièrement les Panthères, les finales de Coupe du Gabon, des matchs de championnat de haut niveau, voire des compétitions sous-régionales. En somme, un bijou sportif au service de la jeunesse et du rayonnement sportif du pays.
Mais depuis plusieurs années, ce rêve a viré au silence. Plus aucune rencontre sportive n’y est organisée. Les Panthères jouent désormais à Franceville. Les clubs de Libreville s’entassent entre le stade de Nzeng-Ayong, celui de l’INJS ou Michel Essonghe, loin du prestige qu’Angondjé devrait incarner.
Des travaux… invisibles
Officiellement, l’argument avancé pour justifier cette inactivité sportive reste celui des travaux. En 2022, il avait été annoncé que des rénovations allaient être entreprises pour remettre aux normes les installations. Une partie de la pelouse, la sonorisation, les vestiaires et le système d’éclairage étaient pointés du doigt. Mais plus de deux ans après, rien n’a véritablement bougé. Aucun chantier majeur, aucune date de livraison, aucune communication claire des autorités sportives ou infrastructurelles. Pourtant, entre-temps, le stade n’est pas resté vide. Bien au contraire.
Depuis l’accession au pouvoir de Brice Clotaire Oligui Nguema le 30 août 2023, le stade a été utilisé à plusieurs reprises pour des manifestations politiques : grands rassemblements de soutien à la Transition, moments de communion avec les Forces de défense, meeting de clôture de campagne, et prochainement, une investiture. Le lieu semble offrir un symbole : celui de la centralité du peuple, de l’unité retrouvée, de la grandeur retrouvée. Mais à quel prix ?
Si le stade est apte à accueillir des dizaines de milliers de personnes pour des événements politiques, qu’est-ce qui empêche qu’il en fasse de même pour le sport ? Est-ce une question de priorités ? De gestion ? Ou une lente dérive vers une nouvelle affectation non assumée ?
Un détournement de fonctionalité ?
L’interrogation est légitime. Peut-on considérer normal qu’un équipement sportif de cette envergure serve essentiellement à des fins politiques ? Cela ne revient-il pas à détourner son objectif initial ? N’est-ce pas là une forme de gaspillage, au regard des moyens investis, du potentiel inexploité et du besoin criant d’infrastructures sportives modernes dans le pays ?
Pendant ce temps, des jeunes talents se brisent les genoux sur des terrains de fortune, des clubs disputent des matchs sur des pelouses impraticables, et les supporters gabonais n’ont plus de vraie cathédrale sportive à Libreville.Le sport est-il devenu secondaire ? Ou est-ce la politique qui s’invite partout, jusqu’à s’asseoir sur les gradins réservés aux rêves des jeunes ?
Il est peut-être temps que la société civile, les fédérations, les anciens sportifs, les parlementaires et les citoyens s’interrogent : quel avenir voulons-nous pour nos infrastructures publiques ? Le stade d’Angondjé n’est pas un simple bâtiment. Il incarne une ambition. Celle d’un Gabon qui croyait en sa jeunesse, en son football, en son rayonnement international.
Aujourd’hui, il incarne surtout un paradoxe. Celui d’un lieu construit pour élever le sport… mais désormais réservé aux démonstrations de pouvoir.