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BEAC contre géants privés : la bataille pour le contrôle de la monnaie

Longtemps simple observatrice de la révolution du mobile money, la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC) a changé de posture. Face à l’emprise croissante des opérateurs télécoms et des fintechs internationales sur les services financiers du quotidien, l’institution monétaire déploie une stratégie offensive pour réaffirmer sa souveraineté et reprendre le contrôle d’un écosystème en pleine effervescence.

La révolution était silencieuse, mais les chiffres sont assourdissants. Fin 2023, la zone CEMAC comptait plus de 40 millions de comptes de monnaie électronique, avec un volume de transactions annuel de près de 29 000 milliards de francs CFA, en hausse de 46 % sur un an.

Une manne financière colossale, longtemps captée et gérée par des acteurs privés, principalement les filiales des géants des télécommunications.

Face à ce qui s’apparentait à une privatisation rampante de la monnaie, la BEAC a décidé de siffler la fin de la récréation. « Nous devons encadrer sans étouffer », martelait récemment le gouverneur Yvon Sana Bangui.

Une doctrine qui s’est traduite par une série de réformes visant à intégrer la monnaie électronique dans le giron réglementaire classique, non plus comme une activité périphérique, mais comme un pilier de l’intermédiation financière.

La réglementation comme première arme

L’offensive a débuté avec un durcissement réglementaire. Depuis 2019, la BEAC a mis fin au modèle où les opérateurs télécoms agissaient en simples partenaires techniques des banques.

Un nouveau règlement les a contraints à créer des filiales dédiées aux services de paiement, agréées en tant qu’« établissements de paiement » et soumises à la supervision de la Commission Bancaire de l’Afrique Centrale (COBAC).

Cette mesure visait à scinder clairement les activités de télécommunication des services financiers et à imposer aux nouveaux acteurs les mêmes contraintes prudentielles que les banques, notamment en matière de protection des dépôts et de lutte contre le blanchiment d’argent.

La BEAC a également dû rappeler à l’ordre certains opérateurs qui entretenaient une confusion dangereuse entre le crédit téléphonique et la monnaie électronique, rappelant que seuls les francs CFA émis par la banque centrale ont cours légal.

GimacPay, l’outil de la souveraineté régionale

Au-delà du bâton réglementaire, la BEAC a sorti sa propre carotte technologique, GimacPay. Lancée en 2020 sous l’impulsion du Groupement Interbancaire Monétique de l’Afrique Centrale (GIMAC), cette plateforme est la pierre angulaire de la stratégie de souveraineté de la banque centrale.

Son objectif est de créer un écosystème de paiement intégré et interopérable pour toute la région, capable de connecter les banques, les microfinances, les trésors publics et les opérateurs de mobile money.

Grâce à GimacPay, un utilisateur peut désormais transférer de l’argent d’un compte Orange Money vers un compte Moov, d’un compte bancaire vers un portefeuille mobile, ou encore retirer de l’argent sur n’importe quel distributeur du réseau.

Le projet e-CFA, l’étape ultime ?

La dernière pièce du puzzle stratégique de la BEAC est le projet d’une monnaie digitale de banque centrale (MDBC), un « e-CFA ».

Si le projet n’en est qu’à ses balbutiements, il témoigne de la volonté de l’institution de ne pas se laisser distancer par les innovations technologiques, notamment l’émergence des cryptomonnaies et des stablecoins portés par des acteurs globaux.

La BEAC réfléchit à la manière dont une version numérique du franc CFA pourrait renforcer son contrôle sur la politique monétaire, sécuriser davantage les transactions et accélérer encore l’inclusion financière.

La bataille pour le contrôle de la monnaie en Afrique centrale se heurte néanmoins à de nombreux défis tels que la résistance des géants privés, les disparités réglementaires entre les pays, les enjeux de cybersécurité et la nécessaire éducation financière des populations.

En cherchant à conjuguer innovation et orthodoxie monétaire, la BEAC s’est lancée dans un bras de fer dont l’issue déterminera qui, de l’institution publique ou des intérêts privés, façonnera l’avenir financier de la région.

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