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Déguerpissements à Plaine Orety et Derrière l’Assemblée : La procédure légale face à l’épreuve des droits

Le récent communiqué du Ministère du Logement annonçant la phase active des déguerpissements aux quartier Plaine Orety et Derrière l’Assemblée a mis en lumière la stratégie du gouvernement. Il s’agit d’asseoir son action sur un édifice juridique qui se veut inattaquable. En invoquant une série de lois, décrets et procédures, l’État entend légitimer une opération d’urbanisme d’envergure. Cependant, l’analyse de ce dispositif légale soulève des questions cruciales sur l’équilibre entre l’utilité publique et les droits fondamentaux des résidents.

Une légalité revendiquée par l’État

Le gouvernement, par la voix du ministre Ludovic MEGNE NDONG, a méticuleusement énuméré son parcours procédural. L’acte central est le décret de Déclaration d’Utilité Publique (DUP), adopté en février 2024.

Cet outil juridique puissant, fondé sur la loi n°6/61 du 10 mai 1961, permet à l’État de procéder à des expropriations pour cause d’intérêt général.

La feuille de route gouvernementale s’appuie également sur la saisine du Président du Tribunal de Première Instance pour obtenir un jugement d’expulsion, et celle du Maire de Libreville pour un ordre de démolition, conformément à l’ordonnance n°0000006/PR/2012 fixant les règles générales relatives à l’Urbanisme. Théoriquement, l’approche semble donc suivre les textes en vigueur.

L’argument de l’« urgence » en question

Un point juridique particulièrement sensible réside dans l’invocation de « l’urgence de l’opération ». Selon le communiqué, cette urgence justifie que l’expropriation soit réalisée dans un délai d’un mois après publication du décret.

« La construction d’une cité administrative et de représentations diplomatiques, bien que d’intérêt public, constitue-t-elle une urgence impérieuse justifiant de réduire potentiellement les délais de recours et de relogement pour les occupants ?  » demande dubitativement le juriste Armand Moungola.

La jurisprudence en la matière exige habituellement que l’urgence soit manifeste et prouvée, et non simplement décrétée.

Le sort des occupants, un imbroglio juridiqueLe communiqué reconnaît lui-même la complexité de la situation en distinguant plusieurs catégories d’occupants.

Si le cas des personnes ayant squattérisé la zone semble juridiquement simple pour l’administration, celui des autres profils est un véritable casse-tête qui interroge la notion de justice.

Qu’en est-il des acquéreurs de bonne foi ? Ces familles ont acheté des biens, souvent à l’issue de toute une vie d’épargne, sans être informées par les vendeurs (parfois eux-mêmes déjà indemnisés par l’État) de la situation réelle du terrain.

Leur titre de propriété est fragile certes, mais ils peuvent être considérés comme des victimes et pourraient légitimement réclamer réparation.

Le droit gabonais et les conventions internationales ratifiées par le pays, comme le Pacte International relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, protègent le droit à un logement décent et encadrent strictement les expulsions forcées.

Celles-ci doivent respecter des principes de préavis raisonnable, de consultation et prévoir des solutions de relogement adéquates, même pour les occupants sans titre formel.

La nécessité d’une transparence totale

Si l’affirmation par le gouvernement d’avoir saisi les autorités judiciaires et municipales est une chose ; la transparence sur les décisions rendues en est une autre.

Pour que la procédure soit incontestable, les jugements d’expulsion et les arrêtés de démolition devraient être rendus publics et notifiés individuellement dans des conditions qui permettent aux personnes concernées d’exercer leurs voies de recours.

L’État est dans son droit de vouloir aménager le territoire national, mais la légalité d’une opération d’une telle ampleur ne se mesure pas seulement au respect formel des textes. Elle sera jaugée à l’aune de sa capacité à garantir la justice, la transparence et le respect de la dignité de chaque citoyen.

La promesse du gouvernement de rester « attentif aux situations les plus préoccupantes » sera mise à l’épreuve dans les semaines à venir, alors que les huissiers devraient continuer de signifier les avis d’expulsion jusqu’au mois octobre.

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