Retour organisé des Gabonais du Maroc : solution humanitaire ou abandon déguisé ?

L’information est passée presque inaperçue, reléguée au rang des annonces administratives classiques. Et pourtant. Le 26 avril 2025, l’ambassade du Gabon au Maroc publiait un communiqué invitant les ressortissants souhaitant « retourner définitivement » au pays à se faire enregistrer auprès de ses services. À première vue, un geste logistique, presque banal. Mais derrière la neutralité du vocabulaire diplomatique se cache une décision lourde de sens, voire un aveu d’échec.
Car cette opération, officiellement qualifiée de « volontaire », intervient dans un climat de tension et de lassitude au sein de la communauté gabonaise du Maroc, en particulier chez les étudiants. Depuis des mois, voire des années, ceux-ci dénoncent des retards de bourse chroniques, un manque d’écoute institutionnelle, et un sentiment persistant d’abandon. À défaut de solutions, c’est désormais le retour au pays qu’on leur propose. Comme si quitter la scène, discrètement, devenait la seule issue.
Derrière les formules policées et la promesse d’un retour « encadré », difficile de ne pas voir un renoncement à traiter les problèmes structurels auxquels fait face la diaspora. Plutôt que de répondre à la détresse des étudiants et jeunes travailleurs gabonais confrontés à la précarité, le message semble clair : revenez, si vous le souhaitez, mais ne comptez pas sur des réponses concrètes de notre part à l’étranger.
La portée de cette décision dépasse donc largement la simple gestion administrative. Elle interroge, en profondeur, la conception que se fait l’État de sa relation avec les Gabonais de l’extérieur. Dans un contexte de transition politique où l’on prétend bâtir un nouveau contrat social, peut-on sérieusement considérer qu’un retour massif, sans perspective annoncée d’intégration ou de réinsertion, constitue une politique digne de ce nom ?
Cette opération soulève aussi une question plus large : à quoi servent nos représentations diplomatiques, si elles ne parviennent pas à protéger, soutenir et écouter leurs ressortissants en détresse ? Au Maroc, les étudiants gabonais en difficulté n’ont cessé de tirer la sonnette d’alarme. Mais bien souvent, leur réalité se heurte à un mur d’indifférence ou à des lenteurs bureaucratiques sans fin. Et lorsqu’enfin une action se dessine, c’est celle du retour, non pas choisi, mais subi.
Il y a là une forme d’injustice qui blesse : alors qu’ils ont quitté le pays pour se former, avec l’espoir de contribuer au développement du Gabon, ces jeunes se voient aujourd’hui renvoyés à leur point de départ, sans accompagnement, ni perspective claire. Quel signal leur envoie-t-on ? Que leur pays n’a rien à leur offrir à l’étranger, et pas grand-chose à leur promettre au retour ?
Le paradoxe est d’autant plus saisissant que, dans les discours officiels, la diaspora est régulièrement saluée comme un vivier de compétences, un pilier du renouveau national. Mais dans les actes, la dissonance est frappante. Aucune feuille de route publique n’a été annoncée quant aux modalités de retour. Aucun plan de réintégration, aucun accompagnement psychologique, social ou professionnel ne semble avoir été pensé.
Ce retour collectif, s’il devait se concrétiser à grande échelle, risque de marquer une rupture plus profonde encore entre le pays et ceux qui vivent loin de lui. Loin de renforcer le lien entre l’État et ses citoyens expatriés, il pourrait au contraire entériner leur marginalisation. Car finalement, derrière cette initiative se cache une question simple, mais essentielle : que vaut la parole de l’État quand ceux qu’elle concerne ne s’y reconnaissent plus ?