Critiques

Gouverner par effet d’annonce : le Gabon face à ses contradictions

À chaque Conseil des ministres, la scène est devenue familière : une série de décisions spectaculaires, des projets présentés comme structurants, des échéances posées comme des évidences. Mais derrière les déclarations, peu de concret. Le Gabon semble s’être spécialisé dans l’art d’annoncer plus vite qu’il ne réalise.

Le plus récent exemple est révélateur : l’interdiction dès 2029 de l’exportation du manganèse brut. Objectif affiché : valoriser localement la ressource et relancer l’industrialisation. Sur le papier, l’idée est ambitieuse, stratégique même. Mais dans les faits, une question se pose : le pays dispose-t-il de l’expertise, des infrastructures, des industries et des hommes pour transformer cette annonce en réalité dans un délai aussi court ?

Les promesses d’hier toujours en attente

Le phénomène n’est pas nouveau. Depuis plus d’une décennie, les effets d’annonce se succèdent sans aboutir. Parmi les projets emblématiques tombés dans l’oubli ou largement inachevés, on peut citer :Le projet GRAINE, lancé en 2014, censé relancer l’agriculture nationale à grande échelle. Il devait permettre au Gabon d’assurer sa souveraineté alimentaire. Aujourd’hui, les plantations sont à l’abandon et les coopératives dissoutes.

Le Plan stratégique Gabon émergent (PSGE), matrice de développement annoncée en 2009, comportait des dizaines de projets économiques censés sortir le pays de sa dépendance pétrolière. Très peu ont vu le jour.

Le Grand Libreville, qui devait connecter Owendo, Akanda, Ntoum et Libreville à travers un vaste plan d’aménagement. Des kilomètres de routes restées en projet, des points d’eau jamais construits.

Les logements sociaux promis par milliers dans chaque province, jamais livrés ou laissés inachevés. Autant d’engagements oubliés qui fragilisent la crédibilité de l’État.

Une industrialisation rêvée, sans fondation réelle

Revenons à l’annonce de mai 2025 : l’arrêt d’exportation du manganèse brut dès 2029. Un objectif de transformation locale qui s’inscrit dans une vision de souveraineté économique. Mais peut-on sérieusement croire qu’en quatre ans, le pays construira des usines, formera des techniciens, assurera la logistique, et garantira une alimentation énergétique fiable ?

À l’heure actuelle, aucun plan d’industrialisation détaillé n’a été publié. Aucune étude de faisabilité, aucun chiffrage public, aucun échéancier précis. De quoi renforcer l’idée que certaines décisions politiques sont pensées pour séduire à l’international, plus que pour être appliquées localement.

Beaucoup de Gabonais ont le sentiment que les politiques publiques ne leur parlent plus. Les termes sont techniques, les objectifs vagues, les résultats invisibles. Pendant que les autorités brandissent des chiffres et des plans, les citoyens ne voient ni changement dans leur quotidien, ni amélioration de leur cadre de vie.

Pire, des millions sont parfois engagés, sans retour tangible, et ceux qui ont piloté ces échecs continuent leur carrière sans reddition de comptes. Cela pose une question centrale : où est la culture de l’évaluation et de la responsabilité ? Quand les résultats ne sont pas au rendez-vous, qui assume ?

Face à cette spirale de projets avortés, il devient urgent de rappeler que gouverner ne consiste pas à faire rêver, mais à rendre possible. Chaque décision publique devrait être précédée de diagnostics réalistes, d’évaluations de capacités, de projections claires. Mais au Gabon, on préfère souvent faire des annonces avant de faire des études. Résultat : une gouvernance verticale, peu lisible, qui accumule les intentions sans ancrage opérationnel. Et ce sont les populations, déjà fragilisées par les inégalités et la précarité, qui paient le prix du décalage entre le verbe et l’action.

Lorsque l’État engage de l’argent public, il doit garantir un rendement social ou économique mesurable. Cela suppose d’instaurer des mécanismes clairs de suivi et de sanction. Il ne peut plus être normal qu’un projet échoue sans que personne ne soit interpellé, voire promu.

Plus que jamais, le Gabon a besoin d’un tournant culturel dans la gouvernance : celui de la redevabilité. Finie l’ère des ministres gestionnaires de slogans. Place à celle des serviteurs de résultats.

Le Gabon a des ressources, des ambitions et une jeunesse pleine de potentiel. Mais tant que l’action publique sera guidée par le souci de paraître plutôt que de faire, le pays tournera en rond. Il est temps de mettre fin aux effets d’annonce, de gouverner à hauteur d’homme, et d’investir d’abord dans ce qui est réaliste, applicable, et structurant. C’est à ce prix que la parole publique regagnera du crédit. Et que les décisions gouvernementales seront, enfin, synonymes de progrès pour tous.

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