Critiques

Déguerpissements à Plaine Orety : un an de silence, puis le choc des bulldozers

Malgré un décret pris en février 2024, les habitants de la zone « Derrière l’Assemblée » à Libreville, certains habitants indiquent n’avoir pas été ni informés, ni relogés, ni indemnisés avant les destructions. Le gouvernement promet désormais un accompagnement, mais pour beaucoup, il est déjà trop tard.

Depuis plusieurs jours, les pelleteuses détruisent maisons et commerces au quartier Plaine Orety, dans la zone communément appelée « Derrière l’Assemblée ». Des familles entières se retrouvent à la rue, sans solution de relogement immédiate, ni explication claire. Pourtant, le décret présidentiel portant déclaration d’utilité publique de cette zone a été signé depuis le 14 février 2024, soit près d’un an et quatre mois avant le début des opérations.

Un temps que l’État aurait pu mettre à profit pour mieux informer, préparer, accompagner. Il a préféré le silence ou les démi mots. Et aujourd’hui, les populations paient l’addition d’une méthode brutale et d’une gouvernance sans cœur.

Un décret clair… mais une exécution opaque

Le décret N° 0081/PR/MHUC signé par le président de la Transition, Brice Clotaire Oligui Nguema, déclare d’utilité publique une parcelle de plus de 200 000 m² à Plaine Orety. L’État y prévoit des aménagements urbains non précisés. Le texte précise que « l’urgence est déclarée » et que les expropriations doivent être réalisées dans un délai d’un mois. Mais aucune opération visible n’a eu lieu durant les douze mois qui ont suivi.

Aujourd’hui, c’est l’effet de surprise total pour de nombreuses familles. Des logements sont rasés sans plan de relogement clair, sans évaluation préalable des biens, sans concertation digne de ce nom. Le contraste entre la précision du décret et le flou de son exécution est criant.

Une résidente, debout devant les ruines de sa maison, confie amèrement : « Le décret existe depuis l’année dernière ok on l’a bien compris. Mais personne n’est venu nous parler. On vit ici depuis des années. Ce n’est pas en cassant du jour au lendemain qu’on résout quoi que ce soit. »

Même son de cloche pour un commerçant de la zone : « On payait nos taxes. On a des enfants à nourrir. Vous croyez qu’on peut se reconstruire comme ça, sans rien ? Ils ont eu le temps de nous prévenir. Ils ont choisi de nous écraser. »

Une absence totale de pédagogie

C’est l’un des grands scandales de cette opération : l’État n’a pas jugé utile de communiquer clairement avec les populations concernées. Pas de réunion d’information. Pas de sensibilisation. Pas de notice explicative ou de guide de procédure. Rien. Et quand les engins sont arrivés, c’est la panique qui a parlé. Des familles ont perdu leurs repères, leurs économies, leur quotidien. Certaines vivent à même le sol, avec leurs enfants, exposées aux intempéries. « On nous traite comme si on avait volé ces maisons. Pourtant, on a acheté. On a construit. On a vécu ici. Maintenant, on n’a même pas droit à une explication », déplore une mère de trois enfants.

Bailleurs peu scrupuleux, complices d’une détresse

Autre drame dans le drame : certains bailleurs privés, informés de l’imminence du déguerpissement, ont continué de louer leurs logements jusqu’à la dernière minute, sans alerter les locataires.

Un habitant raconte. « J’ai payé mon loyer en mai. Deux semaines plus tard, on a détruit ma maison. Le bailleur savait depuis des mois. Il a préféré se taire ». Une attitude cynique qui soulève une question de responsabilité morale, voire juridique. Car des familles ont été doublement trahies : par l’État et par ceux à qui elles faisaient confiance pour un toit.

Un accompagnement… après les destructions

Ce n’est qu’après le tollé sur les réseaux sociaux et la médiatisation du drame que le gouvernement a pris la parole. Le ministre des Travaux publics et de la Construction, Edgard Moukoumbi, a promis que « Chaque famille concernée sera accompagnée avec dignité et transparence. ». Le Délégué spécial de Libreville, Adrien Nguema Mba, a, lui, insisté sur une démarche « méthodique », en assurant que « Le gouvernement n’est pas insensible à la détresse des populations. ».

Mais sur le terrain, les populations ne voient rien venir. Aucune commission d’évaluation. Aucune cellule d’écoute. Et surtout, aucune base claire pour calculer les indemnisations promises. Une question cruciale demeure : comment indemniser convenablement ce qui a déjà été détruit ? Sur quelle base ? Qui tranche ? Et avec quels critères ? En détruisant d’abord et en promettant ensuite, l’État a inversé l’ordre logique de la justice sociale.

Gouverner, ce n’est pas surprendre, c’est accompagner

Le drame de Plaine Orety n’est pas qu’un problème d’urbanisme ou de domanialité. C’est une faillite politique et humaine. Le rôle de l’État est d’anticiper, de dialoguer, de construire des solutions durables avec les populations, pas contre elles. On ne bâtit pas une ville moderne en effaçant les pauvres à coups de pelleteuses. On la bâtit en les intégrant, en les respectant, en leur offrant une alternative décente.

Il aurait suffi de quelques réunions, d’un plan de relogement social, d’un système clair d’indemnisation anticipée, et surtout, d’un peu d’écoute. Mais à Plaine Orety, on a préféré la méthode expéditive. Et ce sont les plus faibles qui trinquent. À l’heure où l’on parle de refondation, de rupture et de transition, l’État gabonais gagnerait à inscrire aussi la dignité humaine dans sa feuille de route. Pas uniquement dans ses discours.

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