Critiques

Procès de l’Esther Miracle : le 7 août, la justice gabonaise face à ses responsabilités

Plus de deux ans après le naufrage de l’Esther Miracle, le procès entamé en juin 2025 franchit une étape décisive. Le tribunal correctionnel de Libreville se prononcera le 7 août sur deux requêtes majeures : la légalité du maintien en détention de plusieurs accusés et la possibilité d’impliquer l’État gabonais comme partie civilement responsable. Des décisions attendues qui vont bien au-delà des enjeux de procédure.

Le procès de l’Esther Miracle n’en est encore qu’à ses balbutiements sur le fond. Pourtant, l’audience du 26 juillet a suffi à révéler toute la portée institutionnelle et politique de cette affaire. D’un côté, la défense de plusieurs inculpés de premier plan demande leur libération immédiate, dénonçant une détention prolongée au mépris du Code de procédure pénale. De l’autre, les avocats des parties civiles réclament que l’État, à travers certains de ses anciens hauts responsables, réponde des défaillances présumées ayant contribué à la catastrophe maritime du 9 mars 2023.

Une détention qui interroge la légalité

Au cœur des débats : la situation judiciaire de Fidèle Angoue Mba, ex-directeur général de la Marine marchande, et d’Armand-Blaise Mbadinga, patron de la compagnie Royal Cost. Tous deux sont incarcérés depuis avril 2023. Un délai qui excède, selon la défense, les 18 mois maximum autorisés en matière correctionnelle par l’article 134 du Code de procédure pénale. Pour leurs avocats, il ne s’agit pas d’un simple vice de forme mais d’une violation manifeste des garanties fondamentales des prévenus.

Une telle détention prolongée risque, selon eux, de fragiliser l’autorité même de la justice. « Le droit ne saurait être à géométrie variable », a martelé l’un des conseils. Une mise en garde implicite : continuer à ignorer la règle, c’est courir le risque de délégitimer tout le processus judiciaire.

Mais en face, les parties civiles ne cachent pas leur inquiétude. Une remise en liberté anticipée pourrait, selon elles, nuire à la manifestation de la vérité, voire encourager des tentatives de fuite ou d’intimidation. La justice doit-elle, pour autant, s’asseoir sur la loi pour préserver la solennité du procès ? L’équation est aussi juridique que morale.L’État sommé de répondre ?

L’autre front, tout aussi explosif, concerne la volonté des parties civiles de faire comparaître l’État gabonais à travers certains de ses anciens représentants : Alain-Claude Bilie-By-Nze, alors Premier ministre, et Brice-Constant Paillat, ex-ministre des Transports. Objectif : établir d’éventuelles responsabilités institutionnelles dans la gestion calamiteuse des secours et dans les dysfonctionnements ayant précédé le naufrage.

Ce serait un tournant. Car convoquer l’État, ce n’est pas seulement désigner des individus : c’est ouvrir le procès à la question de l’impunité administrative, de la culture de négligence, et de la responsabilité politique. Peut-on continuer à parler de moralisation de la vie publique tout en évitant de regarder les rouages défaillants de la machine étatique ?La demande, hautement sensible, interroge le rôle de la justice : doit-elle se limiter à juger les rouages subalternes ou oser aller jusqu’au sommet, là où les décisions, ou les silences ont des conséquences systémiques ?

Le 7 août, bien plus qu’une date judiciaire

Ce que décidera le tribunal le 7 août ne relèvera pas uniquement du droit : ce sera un acte de vérité institutionnelle. Accéder aux demandes de mise en liberté, ou convoquer l’État comme acteur du drame, reviendra à affirmer que la justice n’est pas un instrument à géométrie variable selon le statut ou la sensibilité du dossier.

Car derrière le naufrage de l’Esther Miracle, ce ne sont pas que des responsabilités individuelles qui se jouent, mais une occasion unique de jauger la solidité de l’État de droit au Gabon. La promesse du président élu Brice Oligui Nguema de « rendre justice aux familles » ne pourra être tenue que si les institutions judiciaires se montrent à la hauteur du drame national.

La date du 7 août pourrait ainsi marquer un basculement. Vers un procès mémoriel, enfermé dans des querelles procédurales ? Ou vers un procès historique, capable d’affronter toutes les vérités, même celles qui dérangent ?

Articles connexes

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page