
L’annonce du report sine die de la visite de Kemi Seba au Gabon est bien plus qu’un simple fait divers. Prévu du 16 au 22 juin 2025, ce séjour avorté agit comme un puissant révélateur des tensions et des dilemmes qui traversent le régime dirigé par le général Brice Clotaire Oligui Nguema. En exposant les « pressions » subies par ses soutiens locaux, le polémiste panafricaniste a, sans même poser le pied à Libreville, forcé le nouveau pouvoir à un exercice d’équilibriste qui en dit long sur sa trajectoire future.
La promesse d’une rupture mise à l’épreuve
Depuis le coup d’État du 30 août 2023 qui a renversé Ali Bongo, le nouveau régime gabonais s’est efforcé de projeter une image de rupture. La promotion de personnalités connues pour leurs sympathies panafricanistes, comme le professeur Grégoire Biyoghe et l’opposant Privat Ngomo – les deux hôtes désignés de Kemi Seba –, semblait accréditer la thèse d’une volonté de s’émanciper des anciennes tutelles.
Pourtant, le « cas Seba » vient fissurer ce narratif. L’incapacité ou le refus d’accueillir une figure aussi radicalement « anti-française » suggère que la marge de manœuvre du Gabon reste limitée.
En filigrane se dessine la crainte de froisser un partenaire historique, la France, dans un pays longtemps considéré comme un pilier de son « pré-carré » africain.
La rhétorique souverainiste est une chose, les actes qui pourraient entraîner des répercussions diplomatiques et économiques en sont une autre.

Un dilemme entre l’opinion publique et le pragmatisme d’État
Cet épisode place les nouvelles autorités face à un dilemme fondamental. D’un côté, une frange croissante de l’opinion publique et de la jeunesse africaine est séduite par le discours de souveraineté monétaire (anti-FCFA) et politique (anti-Françafrique) porté par des activistes comme Kemi Seba.
Ignorer cet appel, c’est risquer de se couper d’une base populaire qui attend un changement profond.
De l’autre, il y a le pragmatisme d’État. Le Gabon, dont l’économie dépend de ses exportations et de ses relations internationales, peut-il se permettre une rupture brutale sur le modèle du Mali ou du Niger ?
Les autorités semblent avoir choisi, pour l’instant, une voie de prudence, préférant apaiser les tensions plutôt que de s’engager dans une confrontation ouverte.

Le report de cette visite n’est pas anecdotique. Il constitue le premier véritable test politique pour le nouveau Gabon. La manière dont le pouvoir attend gérer cette affaire à l’avenir, et sa capacité à naviguer entre les aspirations de son peuple et les réalités géopolitiques, définiront la véritable nature du nouveau régime.
S’agira-t-il d’une refondation souveraine ou d’une simple continuité sous un nouveau visage ? La question reste ouverte.