Gabon : 10e mondial de la pauvreté : une gifle pour un pays pétrolier

Le Gabon, pays d’Afrique centrale longtemps présenté comme un modèle de stabilité politique et de prospérité pétrolière, se retrouve en 2024 parmi les dix pays au monde avec le plus fort taux de pauvreté, selon le dernier rapport Macro Poverty Outlook (MPO) publié en avril 2025 par la Banque mondiale. Un classement qui, derrière ses chiffres froids, révèle une réalité sociale brutale : celle d’un pays aux richesses mal redistribuées, gangrené par la corruption et en mal de réformes structurelles profondes.
Selon le rapport de la Banque mondiale, 34,6 % de la population gabonaise vit sous le seuil de pauvreté. Cela signifie qu’un Gabonais sur trois peine à satisfaire ses besoins de base, comme se nourrir, se soigner ou envoyer ses enfants à l’école. Et ces chiffres ne concernent que les personnes vivant avec moins de 5,5 dollars par jour (environ 3 300 FCFA). Dans un pays où le revenu national brut (RNB) par habitant atteint pourtant 11 194 dollars (environ 6 716 400 FCFA), le contraste est criant.
Cette statistique place le Gabon dans une étrange catégorie : celle des pays à revenu intermédiaire supérieur, avec une richesse nationale élevée, mais une pauvreté de masse. En Afrique, peu de pays affichent un tel grand écart entre les indicateurs macroéconomiques et la réalité vécue par la majorité de la population.
Une illusion de développement
En 2024, le Gabon figurait encore dans le top 10 des pays africains les plus « développés » selon l’Indice de Développement Humain (IDH), principalement grâce à ses performances dans les domaines de la santé et de l’éducation. Mais là encore, l’apparence trompe. Car ce développement reste largement capté par les centres urbains, notamment Libreville et Port-Gentil, tandis que l’intérieur du pays reste en grande partie enclavé, marginalisé et laissé pour compte.
Une enquête Afrobarometer publiée à la même période révèle que 81 % des Gabonais se déclarent en situation de pauvreté, et 83 % affirment avoir connu des difficultés financières majeures au cours des douze derniers mois. Parmi les doléances les plus fréquentes : l’accès à l’eau potable, aux soins de santé et aux denrées alimentaires de base.
Si le Gabon est pauvre, ce n’est pas faute de ressources. Outre le pétrole, dont il est producteur depuis les années 1960, le pays regorge de manganèse, de bois précieux et de terres arables. Mais ces ressources n’ont jamais profité équitablement à la population. Elles ont été longtemps accaparées par une élite politico-économique, protégée par un système opaque et clientéliste.
Pendant plus de cinq décennies, les revenus du pétrole ont alimenté les budgets de fonctionnement, la consommation des élites et les projets « vitrine » sans jamais irriguer le tissu social. À cela s’ajoute une corruption systémique : entre 400 et 500 milliards de FCFA sont détournés chaque année selon les estimations de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique. C’est l’équivalent du budget de plusieurs ministères réunis.
Une pauvreté structurelle aggravée par l’inertie politique
Depuis l’arrivée au pouvoir de Brice Clotaire Oligui Nguema après le coup d’État d’août 2023, la transition politique a suscité beaucoup d’espoirs. Mais près de deux ans après, les résultats concrets tardent à se faire sentir pour les plus modestes. Malgré une rhétorique de « restauration » de l’État et de refondation des institutions, la réalité économique reste inchangée pour des milliers de foyers.
Le gouvernement a certes multiplié les annonces : relance de l’agriculture, réforme du cadastre, investissement dans l’eau et l’électricité, lutte contre la corruption. Mais sur le terrain, peu de transformations concrètes sont perceptibles. La fracture sociale s’aggrave, et les jeunes, qui représentent plus de 60 % de la population, peinent à trouver un emploi digne.
D’autres pays à ressources comparables, comme la Malaisie ou l’Indonésie, ont choisi d’investir massivement dans l’éducation, les infrastructures rurales et la diversification économique. Le Gabon gagnerait à s’en inspirer.
Il est urgent d’en finir avec une économie de rente, où l’État vit des ressources naturelles sans redistribuer équitablement les richesses. Il faut aussi revoir en profondeur les politiques sociales : protection des plus vulnérables, amélioration des services de base, mise en place d’un système fiscal progressif et renforcement de la transparence budgétaire.
La pauvreté n’est pas une fatalité, mais un choix politique. Le classement de la Banque mondiale n’est pas une condamnation. C’est un miroir tendu à un pays qui doit choisir entre perpétuer un système d’accaparement ou engager une vraie transformation sociale. La pauvreté au Gabon ne résulte pas d’un manque de ressources, mais d’un manque de volonté politique et d’une culture de la prédation.
Il est temps de repenser le contrat social gabonais. Le peuple attend des actes, pas des discours. Car tant que la richesse du sol ne deviendra pas la richesse du peuple, le Gabon restera riche sur le papier, mais pauvre dans les ventres.