Critiques

Santé publique au Gabon : que vaut encore le système hospitalier en 2025 ?

Depuis le coup de force du 30 août 2023, qui a mis fin au régime Bongo après plus de 50 ans de règne dynastique, les nouvelles autorités gabonaises multiplient les déclarations d’intention : refondation de l’État, redressement des secteurs clés, audit des finances publiques… mais dans les hôpitaux, le quotidien du peuple, lui, n’a pas changé d’un iota. Et c’est même parfois pire.

Des « hôpitaux de référence » aux réalités de terrain : la grande illusion

Prenons l’exemple de l’Hôpital d’Instruction des Armées d’Akanda, présenté sous le régime précédent comme une vitrine de la médecine gabonaise. Aujourd’hui encore, l’appareil de radiologie tombe régulièrement en panne, les patients attendent des heures, parfois des jours, pour une simple consultation, et les urgences sont saturées par manque de personnel. On y croise des militaires blessés, des civils désespérés, et un personnel épuisé… le tout dans un bâtiment flambant neuf, mais vidé de sa substance.

À Libreville, au CHUL (Centre Hospitalier Universitaire de Libreville), les pannes de courant provoquent parfois l’arrêt des respirateurs ou la fermeture de blocs opératoires. En avril 2025, une femme enceinte est décédée après 14 heures d’attente faute d’anesthésiste disponible — un scandale médiatisé, mais vite étouffé.

En théorie, la CNAMGS (Caisse Nationale d’Assurance Maladie et de Garantie Sociale) devait permettre à tous les Gabonais, même les plus démunis, d’accéder aux soins. En pratique, les délais de traitement des dossiers dépassent parfois 8 mois, les remboursements n’arrivent jamais, et les hôpitaux eux-mêmes refusent souvent les carnets CNAMGS, faute de paiements de l’État. Résultat ? Ce sont les patients qui doivent avancer les frais ou être purement et simplement refusés.

Dans l’intérieur du pays, c’est encore plus catastrophique : à Makokou ou à Koulamoutou, certains centres de santé n’ont même plus de médicaments essentiels depuis janvier, selon un rapport confidentiel du ministère de la Santé. Et cela, alors que les militaires au pouvoir proclament à tour de bras leur volonté de « proximité » avec les populations rurales.

Ironie mordante : pendant que le peuple meurt dans des couloirs ou sur des brancards improvisés, les élites de la Transition continuent de se soigner à Rabat, à Paris ou à Istanbul, souvent aux frais de l’État. En mars dernier, le ministre d’un portefeuille social est parti discrètement en Turquie pour une simple opération de la vésicule biliaire, alors que les hôpitaux du pays n’ont même plus de produits anesthésiants de base.

Alors où est la rupture ? Où est la refondation promise ? Jusqu’à présent, rien de concret n’a changé dans les hôpitaux publics. Le personnel médical, mal payé, attend toujours la revalorisation de ses primes. Les plateaux techniques sont délabrés. Et les patients… crèvent. En silence.

Depuis début 2024, plusieurs audits ont révélé des détournements massifs dans les achats de matériel médical. Des commandes fictives, des sur-facturations, des hôpitaux « équipés » sur papier. Un cas emblématique : l’Hôpital Départemental de Ndendé, censé avoir reçu des lits, des générateurs et du matériel de chirurgie — tout a disparu dans la nature, selon un rapport transmis à la Cour des comptes. Aucune arrestation à ce jour.

Et malgré tout cela, les médecins, les sages-femmes, les infirmiers continuent de travailler. Certains dorment dans les hôpitaux faute de transport. D’autres, faute de gants, utilisent des sacs plastiques pour faire des accouchements. On leur promet des augmentations. On leur parle de « patriotisme médical ». Mais qui soigne le soignant quand lui-même est malade ? En mai 2025, un jeune chirurgien de l’hôpital de Mouila est mort d’une infection faute de traitement rapide.


Conclusion : il ne suffit pas de chasser un régime, il faut aussi reconstruire l’État

Le système hospitalier gabonais ne vaut aujourd’hui ni la confiance du peuple, ni la fierté d’un pays, malgré les discours martiaux et les cérémonies d’inauguration. Il est en ruines, gangrené, abandonné. Et tant que les nouvelles autorités n’auront pas rompu avec les anciennes pratiques, pas dans les mots mais dans les actes — sanction, transparence, investissement massif, suivi, gestion rigoureuse — alors l’hôpital restera ce qu’il est aujourd’hui : le miroir tragique de l’échec d’un État à protéger sa population la plus vulnérable.

Changer le Gabon, c’est commencer par sauver les hôpitaux. Car là où l’on meurt faute de soin, aucun avenir n’est possible.

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