La corruption : continuité ou rupture sous la Cinquième République gabonaise ?

Le 30 août 2023, le Gabon a tourné une page de son histoire. Après plus de 55 ans de règne sans partage de la famille Bongo, le Comité pour la Transition et la Restauration des Institutions (CTRI), dirigé par le général Brice Clotaire Oligui Nguema, a pris le pouvoir, renversant Ali Bongo Ondimba au lendemain d’une élection controversée. Un élan d’espoir, une rupture attendue, un « nouveau départ » chanté sur tous les tons. Quelques mois plus tard, Brice Oligui Nguema est officiellement devenu le président de la Cinquième République. Mais derrière cette révolution de façade, une question cruciale demeure : la corruption, véritable cancer du Gabon, Va-t-elle réellement reculé sous le nouveau régime ou s’agit-il d’une continuité sous un nouveau vernis ?
I. Héritage d’un système enraciné : l’ombre des Bongo plane encore
Le régime Bongo n’a pas seulement régné ; il a façonné un système. Pendant cinq décennies, la corruption a été normalisée, institutionnalisée, presque ritualisée. Elle était l’oxygène du pouvoir et le ciment des clientèles politiques. Ministères transformés en comptoirs personnels, administrations prises en otage par le népotisme, marchés publics distribués entre proches comme des friandises d’État… Oligui Nguema hérite d’un appareil profondément infecté. Et ironie du sort : plusieurs des visages qui l’entourent aujourd’hui sont des recyclés du système déchu. Comment alors éradiquer la corruption avec ceux qui en furent jadis les rouages ?
II. Une rupture plus rhétorique que systémique
Dès sa prise de pouvoir, le général-président s’est voulu rassurant : discours fermes, arrestations de figures de l’ancien régime, audits en cascade, gels de comptes bancaires… La volonté de marquer une rupture semblait claire. Mais à mesure que les mois passent, le décor craque. Si l’opération “anticorruption” donne l’impression d’un ménage salutaire, elle ressemble de plus en plus à une série d’effets d’annonce, dépourvue de stratégie globale, sans calendrier de réforme ni garantie d’indépendance judiciaire.
Les marchés publics continuent d’être octroyés dans l’opacité la plus totale. Les institutions de contrôle (IGF, Cour des comptes, ANIF) sont toujours sous la coupe du pouvoir exécutif. Quant à la fameuse « Task Force », censée récupérer les deniers publics volés, elle agit sans rendre véritablement compte, dans un flou juridique inquiétant. On change les têtes, pas les mécanismes.
III. L’anticorruption sélective : une arme politique
La tentation est grande, dans un régime en quête de légitimité, de faire de la lutte contre la corruption un outil de communication… voire de purge politique. Depuis la prise de pouvoir d’Oligui, certains anciens dignitaires ont été publiquement traînés dans la boue, incarcérés, parfois libérés sans jugement. D’autres, pourtant tout aussi compromis, ont été discrètement reconduits ou promus. Cette justice à géométrie variable fragilise la crédibilité du régime : au lieu d’une croisade éthique, c’est un réglage de comptes masqué par le drapeau de la moralisation.
La population n’est pas dupe. La clameur populaire ne demande pas simplement des boucs émissaires, mais un changement profond des pratiques. Or, à ce jour, aucune loi sérieuse de protection des lanceurs d’alerte, de transparence sur les patrimoines des hauts fonctionnaires, ou de contrôle citoyen des finances publiques n’a été mise en place.
IV. Briser le cycle : une rupture encore possible ?
Tout n’est pas figé. La Cinquième République pourrait être une chance historique de refondation si elle s’attaque réellement aux racines du mal. Mais pour cela, il faut du courage politique, de la cohérence, et surtout une réelle volonté de se soumettre aux exigences de la transparence. Cela implique de :
- Donner une réelle indépendance à la justice ;
- Réformer les institutions de contrôle financier ;
- Mettre en place des mécanismes de transparence dans les marchés publics ;
- Instaurer une obligation de reddition des comptes pour les élus et hauts fonctionnaires ;
- Impliquer la société civile dans la surveillance des deniers publics.
Sans cela, la Cinquième République ne sera qu’une répétition des précédentes, avec un nouveau drapeau, un nouveau logo, et les mêmes combines en coulisse.
Le Gabon a peut-être changé de président, changé de constitution, changé de République. Mais tant que la logique du pouvoir restera centrée sur le contrôle des ressources et l’impunité des élites, la corruption persistera, sous d’autres formes, avec d’autres visages. La Cinquième République du président Oligui est encore jeune, mais le temps presse. Le peuple gabonais n’attend plus des discours, mais des preuves tangibles que le pays ne sera plus dirigé comme une entreprise familiale ni comme un butin électoral. La rupture reste possible, mais chaque jour qui passe sans réforme réelle renforce l’idée d’une continuité en treillis.