
Les décisions du Conseil des ministres ont jeté un pavé dans la mare politique gabonaise. Dans un communiqué datée du 20 juin 2025, le gouvernement a adopté un projet de loi visant à autoriser le Chef de l’État à légiférer par ordonnance. Si l’exécutif justifie cette mesure par un besoin d’« accélérer les réformes », elle est déjà perçue par de nombreux observateurs comme un signal inquiétant de concentration des pouvoirs, particulièrement sensible dans le contexte de changementde régime.
Concrètement, si cette loi est votée par le Parlement de transition, le Oligui Nguema pourra prendre des décisions ayant force de loi dans des domaines normalement réservés au pouvoir législatif, et ce, sans passer par les débats et le vote des députés et sénateurs. La mesure serait, selon le texte, limitée à l’« intersession parlementaire », la période durant laquelle les élus ne siègent pas.
L’efficacité, un prétexte pour gouverner seul ?

Du côté du gouvernement, le discours est axé sur le pragmatisme. L’objectif affiché est de surmonter les lenteurs bureaucratiques et parlementaires pour mettre en œuvre rapidement des réformes jugées cruciales.
Pour les tenants du pouvoir, il s’agit d’un outil de bonne gouvernance indispensable pour tenir le calendrier de la transition et répondre aux attentes urgentes de la population.
Un argumentaire qui peine à convaincre dans les cercles de l’opposition et de la société civile, où l’on craint une dérive autoritaire.

Pour ses détracteurs, cette manœuvre est une illustration classique de la concentration du pouvoir. « C’est un chèque en blanc donné au Président », s’inquiète un juriste contacté, qui a requis l’anonymat.
En court-circuitant le Parlement, même temporairement, le pouvoir exécutif s’affranchit du débat démocratique, de l’examen critique et des amendements qui sont l’essence même du travail législatif.
La crainte principale est de voir le gouvernement faire passer en force des lois potentiellement impopulaires ou sensibles – sur la fiscalité, le code du travail ou l’exploitation des ressources naturelles – loin du regard des représentants du peuple.

Un test majeur pour la Cinquième République.
Cette décision prend un relief particulier dans le contexte de la Cinquième République politique initiée après le coup d’État du 30 août 2023.
Le régime du général Brice Clotaire Oligui Nguema, qui s’était engagé à restaurer les institutions et à rompre avec les pratiques de l’ancien régime d’Ali Bongo, est aujourd’hui face à ses propres contradictions.
Cette volonté de légiférer par ordonnance pourrait être interprétée non pas comme un renforcement des institutions, mais comme une consolidation de l’autorité présidentielle au détriment du contre-pouvoir législatif.
Le projet de loi devra encore être soumis au vote du Parlement de transition. Les débats s’annoncent houleux et serviront de baromètre pour mesurer la vitalité démocratique du pays et l’indépendance de ses législateurs.