
L’encre de l’accord signé à Doha entre Kinshasa et le M23 est à peine sèche, mais dans les camps de déplacés du Nord-Kivu, la nouvelle est accueillie avec un mélange d’espoir fragile et de scepticisme profond. Pour des millions de personnes dont la vie a été brisée par la violence, ces mots sur le papier représentent la promesse d’un retour, mais aussi le souvenir amer des paix passées qui n’ont jamais tenu.
Dans les allées boueuses du camp de déplacés de Kibati, où des dizaines de milliers de familles s’entassent sous des bâches précaires, la signature de la « déclaration de principes » à Doha semble venir d’un autre monde.
Pourtant, c’est bien ici, à des milliers de kilomètres des salons climatisés du Qatar, que cet accord prendra ou non tout son sens.La nouvelle, diffusée par bribes à la radio, suscite une première lueur d’espoir.
« Un cessez-le-feu permanent ? Cela veut dire qu’on pourrait arrêter de fuir au milieu de la nuit ? », nous demande Alphonsine, mère de quatre enfants joint ce matin par téléphone.

Pour elle, comme pour beaucoup, la paix n’est pas un concept géopolitique, mais la simple possibilité de rentrer chez soi, de cultiver son champ sans peur et de renvoyer ses enfants à l’école.
« La première chose que nous voulons, c’est le silence des armes. Un vrai silence, pas juste une pause de quelques semaines », explique un leader communautaire du camp, qui préfère rester anonyme. « Chaque jour ici est une lutte pour la survie. Si cet accord peut nous offrir le chemin du retour, alors nous le bénirons. »
Le poids de l’histoire et la méfiance tenace

Mais l’espoir est rapidement tempéré par le poids de l’histoire. Les accords de paix, les dialogues et les cessez-le-feu font partie du vocabulaire tragique de la région depuis près de trente ans.
« On a signé beaucoup de papiers avant, et les tirs ont toujours repris », lâche amèrement Joseph, un enseignant qui a fui les combats en février.
« On nous parle de « restaurer l’autorité de l’État ». Mais quel État ? Celui dont les soldats nous rançonnaient ou fuyaient devant les rebelles ? La confiance est brisée, pas seulement envers les groupes armés, mais aussi envers ceux qui sont censés nous protéger. »

Pour les populations locales, la « restauration de l’autorité de l’État » doit se traduire par des actes concrets. Ils veulent une police qui sécurise les routes, des juges qui punissent les crimes, et des administrateurs qui assurent les services de base.
Sans cela, l’accord de Doha restera une coquille vide, une signature de plus dans le grand cimetière des promesses non tenues.
Les questions qui restent en suspens

Au-delà de la sécurité, les cicatrices du conflit sont profondes. Que deviendront les combattants du M23 ? Y aura-t-il une justice pour les pillages, les viols et les massacres ?
Comment reconstruire la cohabitation entre des communautés montées les unes contre les autres ?
Ces questions ne figurent pas dans la « déclaration de principes », mais elles hantent les esprits dans chaque camp de déplacés.

Pour un travailleur humanitaire basé à Goma, « l’annonce est positive, car elle arrête l’hémorragie. Mais la véritable paix se construira sur le terrain, à travers la justice, la réconciliation et le développement. La signature est l’étape la plus facile. Le plus dur commence maintenant. »
Alors que les diplomates se félicitent de cette « avancée significative », les yeux des habitants de l’Est de la RDC ne sont pas tournés vers Doha ou Washington, mais vers l’horizon, vers leurs collines et leurs villages.
Ils attendent, partagés entre le désir d’y croire et la peur d’être, une fois de plus, déçus.